Imaginez que chaque paiement hypothécaire puisse à la fois réduire votre dette et faire croître un portefeuille de placements.

C’est l’idée au cœur de la manœuvre Smith. Une stratégie mise au point par le planificateur financier Fraser Smith. Son fils Robinson Smith l’a popularisé dans son livre L’indépendance financière : devenez le maître de votre hypothèque avec la manœuvre Smith.

Le concept séduit de nombreux propriétaires qui souhaitent optimiser leur fiscalité tout en investissant pour l’avenir.

Mais, comme souvent en finance, le diable est dans les détails. Ce qui fonctionne bien dans le reste du Canada devient plus complexe pour les Québécois, en raison de règles fiscales provinciales moins généreuses.

Voyons maintenant comment cette stratégie fonctionne, ses avantages et ses limites au Québec.

1. Qu’est-ce que la manœuvre Smith?

Avant de plonger dans les chiffres, voyons d’abord ce qui se cache derrière cette fameuse stratégie.

En réalité, le principe est simple : utiliser la valeur de votre maison pour faire fructifier votre argent.

Au Canada, les intérêts que vous payez sur votre hypothèque résidentielle ne sont pas déductibles d’impôt. La manœuvre Smith contourne cette règle de façon légale. Elle transforme graduellement cette dette personnelle en dette d’investissement déductible, ce qui la rend fiscalement avantageuse.

Imaginez votre hypothèque comme un grand réservoir : à mesure qu’il se vide d’un côté, il se remplit de l’autre. Chaque fois que vous remboursez une portion de capital, le même montant devient disponible dans votre marge de crédit, prêt à être réinvesti.

C’est ce cycle qui fait la force de cette stratégie.

Comment ça fonctionne :

Tout d’abord, vous devez convertir votre hypothèque en une hypothèque avec marge de crédit hypothécaire. Ce produit permet d’emprunter le capital que vous remboursez.

Ensuite, chaque mois, la portion « capital » de votre paiement hypothécaire devient disponible dans votre marge de crédit. Par exemple, si vous remboursez 500 $ de capital ce mois-ci, vous pouvez emprunter 500 $ via votre marge.

Vous devez immédiatement utiliser cet argent pour le réinvestir dans un compte non enregistré et dans des placements qui génèrent des revenus. Parmi ceux-ci figurent les actions à dividendes, les fonds communs et les FNB.

Résultat? Puisque vous empruntez maintenant pour investir, les intérêts sur cette dette deviennent déductibles d’impôt. Votre dette totale reste identique, mais sa nature fiscale change complètement.

2. Comment la manœuvre Smith s’applique-t-elle au Canada?

Pour bien comprendre pourquoi la manœuvre Smith est moins avantageuse au Québec, voyons d’abord comment elle fonctionne ailleurs au pays.

Au fédéral, les intérêts payés sur un emprunt d’investissement sont pleinement déductibles du revenu imposable. Peu importe si vos placements génèrent un revenu cette année ou non. Si vous empruntez pour investir, ces intérêts peuvent être déduits.

Prenons un exemple concret :

C’est cette déduction immédiate qui rend la stratégie attrayante pour de nombreux Canadiens. Mais au Québec, c’est une autre histoire.

3. Pourquoi la manœuvre Smith est-elle moins avantageuse au Québec?

Le principe de la manœuvre Smith repose sur la déductibilité des intérêts d’un emprunt utilisé pour investir. Or, cette déduction n’est pas appliquée de la même façon au fédéral et au provincial.

Des règles plus strictes au Québec

Au Québec, vous ne pouvez déduire vos frais de placement (incluant les intérêts d’un emprunt) qu’à hauteur du revenu de placement gagné durant l’année. C’est une restriction majeure que les autres provinces n’ont pas.

Comparons avec le même exemple :

Au fédéral, vous déduisez tout. Au Québec, seulement ce que vos placements ont généré comme revenus.

Si vous investissez dans des FNB de croissance qui ne versent aucun dividende pendant des années, vous ne pouvez rien déduire au provincial. Pendant ce temps, vous payez des milliers de dollars d’intérêts chaque année.

Les frais reportés : un prix de consolation

Les intérêts non déduits ne sont pas perdus. Ils peuvent être reportés sur les trois années précédentes ou indéfiniment dans le futur. Quand vous vendrez vos placements avec un gain, ces frais reportés réduiront votre gain imposable.

Le problème? Le temps. Vous attendez des années, parfois des décennies, avant de profiter de cet avantage. Pendant ce temps, vous payez des frais d’intérêts sur l’emprunt de votre marge de crédit. Et si vous vendez à perte, ces frais reportés risquent de ne jamais servir.

4. À qui s’adresse cette stratégie au Québec?

Compte tenu des limites fiscales québécoises, la manœuvre Smith peut fonctionner, mais seulement dans certaines conditions. Voici les éléments à réunir pour l’utiliser avec succès :

Prérequis financiers :

• REER et CELI maximisés. Ces régimes procurent des avantages immédiats.
• Au moins 35 % de la valeur de votre propriété. Vous devez avoir accumulé une valeur nette pour utiliser une marge de crédit hypothécaire.
• Un fonds d’urgence de six mois de dépenses. Cette stratégie ajoute un niveau de risque, d’où l’importance d’un coussin de sécurité.
• Aucune dette à taux élevé.
• Taux hypothécaire compétitif. Un taux trop élevé gruge rapidement le rendement des placements.

Profil d’investisseur :

• Tolérance au risque modérée à élevée. Vous devez accepter les fluctuations du marché sans paniquer.
• Horizon à long terme. L’approche est pertinente si vous êtes à 10 ans ou plus de votre retraite.
• Expérience minimale en placement. Idéalement, vous générez déjà des revenus de placement avec d’autres investissements.

Engagement requis :

La manœuvre Smith est un engagement à long terme, souvent de 10 à 20 ans. Elle nécessite une marge de crédit hypothécaire réutilisable, idéalement lors d’un renouvellement pour éviter les pénalités.

Cette approche devient moins intéressante à l’approche de la retraite. À cette étape, vous voulez réduire vos dettes et non pas les maintenir.

Ce n’est pas une stratégie pour débuter en investissement. Elle peut toutefois être intéressante en complément d’un bon plan financier, lorsque vos comptes enregistrés sont maximisés.

5. Quels sont les risques à considérer?

Même bien planifiée, la manœuvre Smith comporte des risques. Par exemple :

1. La volatilité des marchés

Vous investissez avec de l’argent emprunté. Si les marchés chutent, la valeur de votre portefeuille peut diminuer rapidement. La dette, elle, reste entière. C’est pourquoi cette stratégie exige une bonne tolérance au risque et une vision à long terme.

2. La hausse des taux d’intérêt

Une augmentation des taux peut faire grimper vos paiements d’intérêt et réduire, voire annuler, les bénéfices fiscaux de cette stratégie. Il faut être capable d’absorber cette variation sans compromettre votre budget.

3. La discipline financière

La marge de crédit doit servir uniquement à investir. La tentation de l’utiliser pour d’autres projets (voyages, rénovations, etc.) pourrait compromettre la logique fiscale de la manœuvre.

4. La complexité fiscale

La stratégie demande une tenue de dossiers rigoureuse : preuves d’investissement, relevés de marge, calculs d’intérêts, etc. Une erreur ou un manque de traçabilité peut faire perdre le droit à la déduction fiscale.

En résumé

La manœuvre Smith peut avoir sa place dans un plan financier bien réfléchi. Mais les règles fiscales québécoises la rendent toutefois plus complexe et moins rentable qu’ailleurs au Canada.

Avant de l’envisager, assurez-vous de répondre aux conditions de base :

• Vos comptes enregistrés sont maximisés.
• Vous avez remboursé une bonne partie de votre hypothèque.
• Vous êtes prêt à maintenir cette stratégie pendant au moins 10 à 20 ans.

Si ces conditions ne sont pas réunies, concentrez-vous sur des stratégies plus rentables, comme maximiser votre REER et votre CELI.

Avant de vous lancer, prenez le temps de consulter un planificateur financier ou un fiscaliste. Ils pourront vérifier la pertinence de cette stratégie dans votre situation.

💡Vous préférez commencer par une approche plus simple? Ne manquez pas notre prochain article sur la stratégie MAPA (mise à part de l’argent). Une stratégie fiscale impliquant la gestion de vos dettes.

À vous de jouer!

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